04 octobre 2022

« Tous les enfants ont droit au spectacle »

Thierry Jacquier, docteur Rêves et formateur à la Fondation Théodora.

En parallèle à sa présence en milieu hospitalier, la Fondation Théodora a développé des programmes spécialement destinés aux enfants en situation de handicap qu’elle déploie aujourd’hui dans 27 institutions spécialisées. Tour d’horizon des enjeux et de la spécificité de ces programmes avec Thierry Jacquier, docteur Rêves et formateur à la Fondation Théodora.

Thierry Jacquier, depuis combien de temps collaborez-vous avec des institutions spécialisées ?
Cela fait maintenant plus de 20 ans. Notre programme « Monsieur et Madame Rêves » a été lancé en 1998 à l’école spécialisée de Chambesy. Depuis 2012, nous proposons également une animation musicale et interactive, appelée « Le Petit Orchestre des Sens ». Aujourd’hui, avec mes collègues artistes, nous nous rendons régulièrement dans 27 institutions spécialisées, réparties dans toute la Suisse.

En quoi ces visites sont-elles différentes de celles réalisées dans les hôpitaux ? 
L’approche est totalement différente, et ce sur bien des points. Quand nous nous rendons dans les institutions spécialisées, déjà, nous ne sommes plus des docteurs Rêves, mais des Monsieur et Madame Rêves. Le handicap n’est pas une maladie, c’est un état de fait. Dans le même esprit, nous arborons une tenue différente des blouses blanches utilisées dans les hôpitaux. L’approche et le contact que nous avons avec les enfants sont aussi bien particuliers. La grande différence par rapport à l’hôpital, c’est que les enfants ne trichent absolument pas. S’ils ne sont pas ouverts, il y aura un stimulus, que ce soit par le regard, la parole ou l’attitude corporelle, qui va nous dire : je suis avec toi ou je ne suis pas avec toi. 

Touchant moment de complicité entre Monsieur U. Fröhlich et Amaru.
Touchant moment de complicité entre Monsieur U. Fröhlich et Amaru.

À l’hôpital, j’ai l’impression parfois que l’enfant, par respect peut-être, rentre dans notre jeu même lorsqu’il n’en a pas 100% envie. En institution, c’est brut, il y a moins de filtres, mais c’est ça qui est génial. Inversement, nous rencontrons aussi des enfants en situation de handicap lourd dont il est difficile de percevoir le ressenti. Mais avec le temps et surtout avec l’aide de l’équipe éducative, nous allons pouvoir percevoir et interpréter certains détails, que ce soit un son, un regard, une posture, qui nous permettront de leur proposer des moments ludiques adaptés à leurs besoins. Cela demande parfois du temps, c’est certain. Je pense en particulier à un enfant qui a mis 5 ans pour accepter ma présence. Mais aujourd’hui, c’est le premier à m’attendre sur le pas de la porte les jours de visite.

À ce propos, comment se déroulent ses visites de « Monsieur et Madame Rêves » ?
Cela dépend des institutions, nous nous adaptons à leur fonctionnement et à leurs attentes. Il s’agit réellement d’une co-construction avec les équipes éducatives. Parfois, nous intervenons dans une classe qui va mettre en pause son activité pour notre visite. Durant ce moment, nous proposons une mini performance ou une activité. Dans d’autres institutions, nous intervenons dans un lieu de vie. Nous allons donc intégrer ce lieu de vie, cela peut être au moment du lever, du goûter ou durant des moments de loisir. Dans ce cas, nous sommes en quelque sorte des copains qui viennent passer du temps avec les enfants, en intégrant leur quotidien. Nous arrivons parfois avec un thème, par exemple les avions en papier. Parfois cela va marcher, parfois pas. Et dans ces cas-là, nous pouvons compter sur le soutien des équipes éducatives pour corriger le tir et adapter notre proposition.

Quel type de formation reçoivent les artistes pour effectuer ces visites ?
Durant leur formation initiale, les artistes suivent un module spécifique pour ces programmes qui est donné au Centre développement et neuroréhabilitation pédiatrique de la Fondation Wildermeth à Bienne. À cette occasion, les artistes sont sensibilisés aux différents types de handicap auxquels ils seront confrontés, mais aussi à l’organisation et au fonctionnement d’une institution spécialisées, sans oublier le rôle et les enjeux du personnel travaillant dans ces structures. Au niveau artistique, nous travaillons particulièrement sur les sens et le ressenti intérieur. Au terme de ce module, les apprentis artistes réalisent plusieurs visites dans des institutions spécialisées, sous la supervision d’artistes « mentors », avant d’obtenir leur diplôme de « docteur Rêves ».

Le Petit Orchestre des Sens en représentation au Centre médico-éducatif de la Castalie à Monthey.

Vous avez évoqué en début d’interview le programme du « Petit Orchestre des Sens ». En quoi consiste-t-il ?
Ce programme est parti d’un constat : dans leur vie quotidienne, les enfants en situation de handicap ont peu accès au spectacle. Ce sont souvent des endroits bruyants et pas vraiment pensés pour ces eux. Mais ces enfants, ils ont aussi droit au spectacle et donc, avec le « Petit Orchestre des Sens », c’est le spectacle qui vient à eux. Concrètement, ce programme est donné par un trio d’artistes et suit un canevas musical très simple : un moment d’accueil, un moment d’histoire et un moment final.

Lors de chacun de ces moments, nous donnons la possibilité aux enfants d’interagir via leurs sens. Cela peut être les sons, le toucher, les odeurs. L’histoire est imaginée et contée de cette manière-là. Ce spectacle est donné devant une petite audience, dix, quinze, vingt enfants au maximum. C’est une condition essentielle afin d’être proche des enfants et de leur donner le temps de sentir et de rentrer dans la dynamique proposée. Ce spectacle est offert à chaque institution deux fois par année et dure environ 45 minutes. Suivant la taille de l’établissement, il est joué deux à trois fois durant la journée.

Personnellement, que tirez-vous de votre travail dans les institutions spécialisées ?
Comme je l’ai dit, le retour des enfants est direct, fort, vrai et pur. Alors quand ils sont contents de vous voir, ils vous le montrent plei-nement. Nous recevons beaucoup en retour. C’est un programme qui a toute sa raison d’être.

Interview d'Isabelle Buttet, infirmière cheffe à l'HRC

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